
BIENVENUE CHEZ ATELIER COLZA
Lors d’une escapade bretonne, Papier est parti à la rencontre d'Eléonore Grignon, co-fondatrice d'atelier Colza, avec sa maman Marie-Claude. Ensemble, ce duo mère-fille crée des objets durables recyclant anciens textiles et fibres naturelles pour imaginer des pièces sur mesure. Coussins, bouillottes, porte-tarte, brique de méditation ou encore dessous de plat, chaque objet est utile, unique et esthétique. Une rencontre immortalisée par la talentueuse photographe Ludivine Le Cornec.
Texte par Valentine Cinier
Photographies par Ludivine Le Cornec
● Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Eléonore Grignon, j’ai 31 ans. J’habite actuellement dans la campagne rennaise, plus précisément à Pacé, en Ille-et-Vilaine, Bretagne, dans un ancien corps de ferme avec mon compagnon et nos animaux. J’ai deux projets, je suis la fondatrice et designer d’Atelier colza et je suis également cheffe itinérante pour du catering et lieux de ressourcements.
● Peux-tu retracer ton parcours ?
Après un bac S en poche, j’ai entamé mes études supérieures en intégrant une MANAA (à l’époque * Mise à niveau en arts appliqués). Après une année de césure en Angleterre, entre renforcement de mon anglais, stages et job créatif à Londres, je débute à mon retour en France un BTS design textile mode et environnement à Roubaix. J’y apprends les bases et fondements du textile, les techniques plurielles et infinies que sont la maille, le tissage, la sérigraphie, la teinture – et je me forme auprès de designers néerlandais et anglais. Une fois diplômée, j’aspire à davantage de liberté et je postule en l’équivalence aux Beaux-arts de Marseille, où j’y développe ma pratique artistique, à la croisée du textile, du vivant et de mes engagements écologiques. Après ma licence obtenue, j’ai déménagé à Paris suite à une opportunité dans une galerie d’art parisienne, et je me suis en parallèle lancée à mon compte. J’y suis restée jusqu’en 2020, année où je décide de revenir m’ancrer à Rennes, ma ville de naissance.
● Quelle a été ta rencontre avec la couture ?
Je viens d’une famille de paysane.s et artisan.es où on a toujours travailler avec nos mains, que cela soit le bois, la laine, le miel, la cuisine, le bâtiment… Ma grand-mère paternelle, Juliette, était couturière à son compte. Ma grand-mère maternelle, Claude, réalisait des ouvrages couture et tricot pour toute la famille. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours regardé ma mère coudre et créer de ses mains. Cela m’a poussé à approfondir mes bases et dès le lycée j’ai suivi en parallèle une formation extra-scolaire de modélisme et couture.
● En quoi créer de tes mains est-il important pour toi ?
Je dirai que cela est devenue une nécessité, de se relier à la matière, que cela soit le textile, ou la nourriture – cela me relie au vivant, à la vie, au tangible du réel. Cela me ramène à l’instant. En cuisine je joue avec les couleurs, formes, goûts, odeurs et textures des matières premières végétales. Avec le textile, je joue avec les couleurs, formes, textures, et histoires de mes matières premières. C’est aussi un souhait de ralentir, de retrouver le temps dans le quotidien pour faire moins, mais mieux. D’accepter que les choses prennent du temps, et cela m’apprend la patience. J’ai le souvenir d’avoir commencé les cours d’arts plastiques à l’âge de 6 ans, j’étais la plus jeune dans le cours mais je me souviens de la joie que cela me procurait.
● Tu as choisi de travailler avec l’aide de ta maman, comment votre collaboration mère-fille est-elle née ?
Atelier colza est né en 2017, à l’époque mon projet de diplôme textile portait ce nom. Je cherchais un nom à mon projet de diplôme, et c’est lors d’un des nombreux allers-retours en direction de la maison de campagne de mes grands-parents maternels, que le nom m’est venu, en voyant défiler ces innombrables champs de colza. Une fois diplômée, je souhaitais donner vie à ce projet, en proposant des objets pour la maison et le quotidien. Une curation d’objets et produits artisanaux découverts lors de mes pérégrinations les années précédentes – et une proposition d’objets conçus et fabriqués de nos mains, avec Marie-claude, ma maman. Nous avions l’habitude, ma mère et moi, d’échanger et de travailler sur nos envies de formes/ de coupes concernant des objets textiles du quotidien. Cela est toujours parti d’un besoin que nous avions, pour nous, d’un manque observé – et nous imaginions donc une pièce en conséquence. On a commencé par un projet utilitaire du quotidien, il me semble que c’était le sac à tarte, et depuis l’aventure a continué, et le projet a grandi.
● Comment te sens-tu quand tu crées dans ton atelier ?
Quand je suis dans mon atelier - et en session de conception de nouvelles pièces avec ma mère – je peux me sentir dans une forme de méditation et de joie, dans une présence à ce qui est, aux matières, couleurs et textiles qui sont face à moi. J’aime cet espace-temps qui s’ouvre à moi et aux champs des possibles que j’entrevoie, où mon esprit est vif. J’ai aussi des moments dans ma journée où je ressens de vifs instants de méditations : me préparer mon café, les premiers rayons du soleil, une biche que j’entrevoie à travers la fenêtre de mon atelier. La réalité d’être à mon compte fait que j’ai aussi souvent besoin d’être derrière mon ordinateur –répondre aux mails, gérer les demandes de commandes sur-mesure, le site internet, le compte Instagram, la compta, etc – j’aime me faire un thé que je déguste dans le service à thé de la céramiste et artiste Manon Clouzeau, pour m’accompagner et me soutenir dans ces tâches administratives, et y trouver une certaine forme de poésie.
● Pourquoi avoir choisi d’installer ton atelier à la campagne, en périphérie de Rennes ?
C’est un choix d’environnement de vie personnelle et de travail, pour retrouver du calme. Aussi le souhait d’avoir un accès direct à un jardin pour le côté pratico-pratique d’atelier colza : laver, étendre les toiles anciennes que nous sourçons, tamiser les cosses de sarrasin, carder la laine… Et aussi l’envie d’avoir un accès direct à des chemins de balade. Et quel plaisir de s’être vue offrir des légumes tout l’été dernier par ma voisine, Madeleine, 88 ans et travaillant du matin au soir dans son potager, son lieu ressource.
● Quelles sont tes sources d’inspiration ? Qu’est-ce que tu trouves beau ?
Voici une liste non exhaustive :
- les savoirs faire artisanaux
- la permaculture, la nature, les saisons de l’automne et du printemps, mes saisons favorites
- les rencontres, la nature, la sérendipité, les petits riens de la vie quotidienne, comme j’aime les appeler
- la cuisine, la cueillette sauvage, les marchés de producteur.ices
- mes ami.es et proches
- l’œuvre textile d’Anni Albers, de Lenore Tawney ou encore le projet artistique et agricole de Gianfranco Baruchello
- la littérature queer et féministe
- l’altérité, l’honnêteté, la sensibilité et la générosité
● Tes créations sont faites à partir de textiles chinés et sourcés, peux–tu nous en dire plus sur la durabilité de ta démarche ?
Lors de mes études en design textile, mode et environnement, nous avons été formés pour répondre à la demande à l’échelle industrielle, qui a un impact environnemental non négligeable. Je dirais que plusieurs facteurs ont joué. Venant d’une famille de paysans et artisans, et de mes engagements écologiques – cela n’était pas envisageable pour moi de contribuer à la sur-production tout en sachant qu’il existe aujourd’hui sur Terre des millions de tissus anciens et stock dormants. C’était aussi un engagement politique, ayant été sensibiliséé aux conditions humaines de productions de certains textiles, et l’emploi des teintures chimiques qui polluent les sols. Concevoir et créer oui, mais avec (bon) sens Je tiens aussi à dire qu’il existe un beau regain depuis plusieurs années avec aussi de nouvelles manufactures françaises, qui ont à cœur de produire moins mais mieux, et avec des fibres naturelles et sourcées, et des ateliers de teinture naturelle comme Couleur Garance. Au-delà des textiles, nous employons également des ressources agricoles locales et bretonnes – tels que les cosses de sarrasin de la ferme de la Rocheraie, la laine vierge bretonne de Gloan Glav, ou encore les graines de lin de la ferme JP Cloteau - que j’ai à cœur de travailler, façonner et mettre en avant. Sans doute une suite logique, ayant œuvré par le passé pour l’organisme Fermes d’Avenir, où j’allais à la rencontre de fermes et productrices partout en France, des expériences de woofing, et ayant collaboré plusieurs années durant pour Regain magazine. J’avais besoin d’intégrer cela à atelier colza, et c’est aussi une des raisons d’être de ce projet – ce lien au vivant et à la terre.
● Tu crées des objets textile pour le quotidien et la maison – pourquoi observe-t-on un intérêt grandissant pour l’intérieur et la décoration selon toi ?
Je pense spontanément au livre « nos cabanes » de Marielle Macé, un essai qui m’avait marqué, concernant cette notion d’habitat, cette chambre à soi pour emprunter le terme à Virginia Woolf. À mon humble échelle, selon moi cet intérêt grandissant est une conséquence et réponse au climat mondial actuel – et un besoin d’avoir un réel espace de ressourcement, safe, propice au repos, aux moments partagés entre proches, et donc aux souvenirs que l’on s’y crée. Pour ma part, l’intérieur, mon chez moi est très important. J’ai besoin d’être entourée d’objets, de choses que je trouve belles, qui me font penser à de beaux souvenirs et qui m’apaisent. J’ai longtemps mis à distance ce besoin – lorsque je déménageais régulièrement entre la France et l’étranger – et j’ai questionné cela, car c’était un besoin que je trouvais futile à l’époque en me disant que cela n’était pas l’essentiel ni une priorité. Mais j’ai évolué, et j’ai réalisé que cela influait réellement sur mon état d’esprit, ma sérénité, mon ressourcement, ma créativité. J’aime avoir un intérieur plutôt épuré, avec des objets ou œuvres d’artisan.es que j’aime, d’am.ies, ou encore de voyages. Je pense à mes céramiques et des bols en bois tourné achetés dernièrement en Suisse normande, avec mon amie Noémie.
● Quels sont tes projets / tes envies / tes voyages à venir ?
Pour atelier colza, de belles perspectives sont à venir. Des collaborations, le shooting de nos nouvelles pièces pour la maison, plusieurs évènements au mois de décembre prochain, un showroom parisien début 2026 prochain en association avec deux autres femmes designers, dont j’ai hâte de parler. C’est le début de l’automne, l’une des saisons que j’affectionne tout particulièrement, et c’est pour moi un moment propice pour travailler en profondeur sur mes projets professionnels actuels, la direction que je souhaite leur donner, leurs raisons d’être etc. Côté voyage, j’ai très envie d’aller dans le comté du Somerset, en Angleterre, en Belgique – ces prochain mois et en profiter pour découvrir des adresses restos et auberges que j’ai repéré. Et tout plein d’autres envies…
Plus d’informations sur l’univers d’Eléonore Grignon sur ateliercolza.com et @ateliercolza